Nous avons vu dans la première partie de ce cours qu'il n'y avait pas de
"chef d'Usenet". Le processus conduisant à la création d'un groupe (on y
reviendra plus loin) permet à chacun de donner son avis et de voter pour ou
contre cette création. Bien entendu, puisque personne n'est nommé pour
s'assurer que chaque nouveau groupe s'insère plus ou moins bien dans une
hiérarchie dont on souhaite la cohérence, toute personne qui souhaite
disposer d'un forum dédié au thème qui le concerne est à même de proposer le
nom qu'il veut donner à "son" forum: l'étape du vote étant supposée trier le
bon grain de l'ivraie.
Pour qu'un nouveau forum "passe" l'étape du vote, il fallait jusqu'à l'année
dernière (1997) qu'au moins 30 votes soient positifs, et qu'il y aie moins
de la moitié des votes négatifs. Avec de telles règles, le nombre
d'utilisateurs d'Usenet grandissant, il devint évident que tout nouveau
forum proposé serait adopté, quelle que soit son sujet, son public, ou la
place choisie pour le créer. Ce fut le cas lorsqu'on vit près de 50
personnes, votant depuis moins de 10 laboratoires de biologie différents,
voter comme un seul homme la création d'un forum dédié au canaux-ioniques,
thème dont nul n'ignore l'intérêt qu'il présente pour la majorité de la
population et en particulier pour celui qui avait demandé la création de ce
forum.La règle fut donc transformée pour devenir "80 OUI DE PLUS QUE DE NON
et 3 FOIS PLUS DE OUI QUE DE NON".
Le cas particulier du forum sur les canaux ioniques nous montre à l'évidence
la faiblesse principale d'Usenet: si chacun est à même de comprendre son
fonctionnement et les raisons qui devraient conduire à n'y créer que des
forums intéressant une bonne partie de la population, alors nul ne proposera
ni ne fera passer en force la création d'un forum qui ne concernera qu'une
population déjà bien identifiée et localisée, qui aura plutôt intérêt à
utiliser une liste de discussion. Mais puisqu'il n'y existe aucune autorité
centrale, nul ne peut empêcher les dérives, quelles que soient les règles de
création que se choisiront les quelques personnes qui se préoccupent du
média dans son ensemble.
A l'opposé, il faut comprendre que c'est justement cette faiblesse qui fait
la force du média: tout média public, sur lequel un intervenant est à même
d'être lu ou écouté par un grand nombre de gens, est, lorsqu'il repose sur
une structure centralisée et un pouvoir quelconque, soumis au minimum à une
auto-censure: l'autorité centrale risquant d'être tenu pour responsable des
propos tenus sur le média dont il a la charge, il va logiquement se mettre à
faire des choix non seulement quant aux thèmes abordés, mais aussi sur le
contenu des émission ou des articles. Si aucune autorité centrale n'est
identifiable, si nul ne peut ni imposer les thèmes ni choisir les contenus,
alors le seul responsable d'un propos tenu en public est celui qui tient ces
propos, et nulle censure ne peut lui être imposée par quelqu'un d'autre.
Usenet, parce qu'il ne connait aucune espèce d'autorité centrale, acquiert
donc des spécificités toutes différentes de tous les autres médias, y
compris de ceux qui utilisent aussi l'infrastructure d'Internet.
Parallèlement, le fait que le procédé de diffusion ne repose pas sur la
demande mais sur l'offre systématique impose une charge au réseau qui
implique que les forums ainsi distribués fasse l'objet d'un intérêt
suffisant en tout point du réseau ainsi inondé. C'est la raison d'être
principale de la procédure, considérée comme trop complexe par beaucoup de
ceux qui ignorent cet aspect, de création d'un nouveau forum.
C'est un avantage et un inconvénient. Le bénévolat se soucie peu des capacités réelles des personnes, par exemple. Et le risque de voir se constituer une caste de ceux qui s'investissent dans la gestion d'une hiérarchie et qui prennent les décisions pour les autres est très réel: dans les faits, pour intervenir dans le processus de décision, il faut connaitre les règles, l'histoire et les positions "politiques" des différents intervenants. Un tel travail nécessite du temps, dont chacun ne dispose pas obligatoirement. Un autre risque est de voir un petit groupe de personnes ogranisées et décidées prendre place au centre des lieux de décision communs, et profiter du fait que, proportionnellement au nombre des utilisateurs, ceux qui s'intéressent à la hiérarchie au point de débattre et de voter son développement sont peu nombreux pour imposer un point de vue qui ne prendra en compte que ses propres bénéfices, et s'approprier le bien commun.
Mais l'équilibre est solide, et repose en définitive sur le fait qu'au delà des utilisateurs, ceux qui gérent des serveurs disposent toujours d'un "droit de veto" sur toute décision qui irait contre l'intérêt du plus grand nombre, intérêt bien compris par ces gestionnaires, puisque c'est eux qui sont en position de juger du coût de toute décision. Eux-même n'ayant aucun intérêt à imposer une décision qui risquerait de les transformer de facto en responsables de tout ou partie du contenu de la hiérarchie, au delà du rôle de simples transporteurs. Leurs vetos pour ne pas leur imposer de responsabilité légale ne doivent donc reposer que sur des aspects purement technique, les décisions "politiques" étant réservées aux utilisateurs, et la responsabilité légale diluée au point de ne plus reposer que sur l'auteur de chaque article.